L’histoire suivante (qui pourrait être vraie !) présente un exemple concret de ce qui est arrivé dans une organisation du secteur de l’ESS.
L’association T.S. se pose la question de restreindre son empreinte carbone. Jusqu’à présent des débats et solutions sur la responsabilité sociale des organisations reviennent et les mêmes solutions sont proposées, débattues, mais souvent sans réelles avancées. Au-delà des idéologies, se pose une difficulté avant tout pratique : comment s’y prendre et que souhaitons-nous vraiment changer ?
Au sein de l’association T.S. relevant du champ de l’aide sociale à l’enfance, le pôle Incroyable H est constitué d’une équipe de 16 personnes. Ils sont chargés de l’accompagnement social et professionnels en milieu ordinaire de jeunes et de familles en risque ou situation d’exclusion. L’activité du Pôle Incroyable H est assez fluctuante : certaines périodes, évènements et urgences nécessitent l’implication des professionnels parfois au-delà des heures habituelles de travail. Cela demande à l’équipe une certaine adaptabilité, polyvalence mais surtout beaucoup de motivation et d’engagement.
Mark R., responsable du Pôle Incroyable H a la charge de construire le plan stratégique TEE (transition écologique et énergétique) et une fois celui-ci détaillé, d’en assurer la mise en œuvre. Rendez-vous est pris dans un an avec le directeur et le CA pour rendre compte des résultats obtenus. Ainsi cette phase expérimentale constituera un plan d’actions opérationnel pour les autres structures de l’association.
Toutefois il se demande comment il va pouvoir procéder pour effectivement réduire l’empreinte carbone du Pôle. Tout d’abord Mark R. est perplexe sur ce que veut dire son directeur concernant l’empreinte carbone. En retournant à son bureau, pensif, il se dit qu’il a bien une idée, mais la première chose à faire est de définir le périmètre de l’action qu’il doit entreprendre.
Une fois assis, il jette des idées sur le papier et vérifie sur Internet ce qu’un service comme le sien pourrait faire. Il conclut que le plus naturel et sur lequel il pourra compter, est l’adhésion de ses collaborateurs et la réduction de la consommation d’énergie. En effet, l’énergie utilisée provient de centrales thermiques utilisant du gaz qui engendre d’importantes émissions directes de gaz à effet de serre.
Il se dit aussi qu’il va bien falloir qu’il implique les membres de l’équipe. Toutes les personnes de l’équipe sont très professionnelles, elles sont aussi très motivées par leur travail et Mark R. sait qu’il peut leur faire confiance.
Continuant sa réflexion, il se rend compte que pour impliquer les collaborateurs, il est nécessaire qu’il leur explique l’objectif à atteindre. Il sait déjà que les discussions vont être animées car chacun a une idée précise de l’objectif qu’il estime devoir être atteint. Il espère que tout le monde s’accordera sur le fait qu’il faut réduire la consommation de chauffage, d’eau chaude et de lumière.
Pour fixer les idées, il faudra aussi aborder avec eux les indicateurs à surveiller. Comme l’eau chaude provient d’un cumulus situé dans les locaux et que le chauffage provient de radiateurs électriques, l’électricité utilisée passe donc par le compteur général du Pôle Incroyable H, ce qui simplifie la surveillance de l’indicateur. Il se rappelle que s’il avait dû procéder à cet exercice à l’époque où le chauffage provenait d’une chaudière à gaz, la chose aurait été plus compliquée puisqu’il aurait fallu tenir compte de deux indicateurs.
Il convoque l’ensemble de l’équipe à une réunion qu’il espère rapide pour leur expliquer son plan. Lorsque la discussion s’engage, tout le monde s’accorde pour dire qu’il s’agit d’une démarche utile et citoyenne. Mais on bute vite sur les mesures à mettre en place.
Après 40 minutes de discussion, rien n’est encore défini et surtout personne ne se sent impliqué dans les actions à prendre, estimant avoir déjà dans son activité quotidienne pleinement pris en compte le besoin de réduire sa consommation d’électricité. Mark R. clôt la réunion en promettant d’y revenir plus tard. Il prend soin de s’assurer que tous sont bien d’accord sur le fait qu’il faut agir.
Les jours suivants, il rencontre individuellement ses collaborateurs et leur demande leur avis. Il donne ensuite à chacun une action à entreprendre sur le Pôle Incroyable H tout au long de l’année. A l’un, il demande de s’assurer que le soir tous les écrans d’ordinateurs sont éteints, à l’autre que les lumières sont bien éteintes lorsque personne n’est dans la pièce, au troisième qu’il doit s’assurer que les radiateurs sont bien mis en veille ou éteints en fonction des besoins et de la température (au-delà de l’action des thermostats). Pour être sûr que les actions seront vraiment suivies, il met en place sur un tableau visible de tous un relevé du compteur d’électricité mis à jour chaque semaine.
Au fur et à mesure que les semaines passent, les relevés sont suivis. Plusieurs mois plus tard, un point est fait avec tous les collaborateurs sur l’énergie consommée. Plusieurs constatations s’imposent : les collaborateurs ont le sentiment de manquer de références et de ne pas vraiment savoir si leurs actions ont un effet. De plus, comme la météo a été très variable la consommation d’électricité a subi des à-coups qui compliquent encore l’interprétation des relevés.
Plusieurs personnes se posent la question de la pertinence de la mesure de l’électricité comme indicateur de l’empreinte carbone du service. La consommation de papier devrait être inclue puisqu’elle provient de l’abattage d’arbres et qu’il faut bien ensuite recycler le papier usagé. D’autres demandent que soit comptées les émissions de CO2 dues au transport de chacun pour venir au bureau et intervenir auprès des usagers.
Après un semestre, Mark R. convoque une nouvelle réunion pour remettre à plat tout le plan de réduction de l’empreinte carbone. Après discussion, tous s’accordent pour inclure les consommables de l’activité du Pôle dans le périmètre de mesure. Sont privilégiés désormais la non-impression des documents numériques, l’impression recto-verso systématique, l’utilisation noir et blanc voire le mode brouillon.
En termes d’indicateurs, on comptera les feuilles consommées par les imprimantes ainsi que les cartouches d’encre. En ce qui concerne l’électricité, on utilise l’historique mensuel obtenu de la consommation électrique de l’année précédente.
Afin d’individualiser les actions les unes des autres, des compteurs séparés sont installés pour les différents usages d’électricité. Enfin, le tableau avec ces informations est rendu plus clair : sont reportées les mesures des périodes précédentes, des codes couleur permettent de savoir en un clin d’œil si les actions sont suivies d’effet.
A la fin de l’année, Mark R. demande à son directeur de venir se joindre à la réunion organisée pour établir un bilan des actions engagées. Comme il a accepté, tous les collaborateurs sans exception tiennent à être présents aussi.
Mark R. présente les résultats :
– Je suis très fier de la réduction de la consommation d’énergie par rapport à l’année précédente. M. le directeur, remarquez comme notre service a réussi à faire baisser la facture d’électricité, cela représente plus de 100 tonnes de CO2 qui n’auront pas été émis dans l’atmosphère. Nous avons atteint un excellent résultat qui dépasse de loin nos attentes.
– Mark R.et vous tous ici présent, je me permets de vous féliciter pour vos résultats, sachez que cela fait partie des objectifs clairs posés par la gouvernance de notre association, vos résultats seront appréciés. Je suis aussi impressionné par la façon dont vous avez abordé cette nouvelle responsabilité et la rapidité de mise en œuvre tout comme l’enthousiasme que vous avez manifesté.
Après plusieurs autres commentaires célébrant l’engagement des équipes et leur esprit civique, une voix s’élève dans l’assistance :
– M. le directeur, je vous remercie pour vos compliments. Avec quelques collègues nous avons toutefois quelques remarques à faire sur tout cet exercice.
Tout le monde se tourne vers la personne qui parle, M. Groot est connu pour son engagement pour l’écologie depuis des années et avait déjà demandé à maintes reprises que toute la direction s’engage en faveur de la défense de la planète :
– Je ne suis pas d’accord avec la façon dont a été mesurée l’empreinte carbone. Avec d’autres collègues, nous estimons qu’il aurait aussi fallu tenir compte de tous les déchets rejetés et aussi des trajets entre le domicile et le lieu de travail. De plus, on nous a demandé de vérifier la façon dont est utilisée l’électricité mais sans avoir un vrai contrôle sur cette utilisation.
Il s’ensuit une discussion à laquelle participent plusieurs personnes dans l’assistance mais dans laquelle le directeur se garde bien d’intervenir. Il se dit en lui-même :
« Laissons Mark R. répondre, après tout c’est son service, de plus, c’est lui qui a pris sur lui de déterminer comment l‘empreinte carbone serait réduite. Je ne serais pas légitime à prendre la parole. »
Mark R.se sent débordé et mis en porte à faux par ses subordonnés vis-à-vis de son directeur. Le silence de ce dernier le déconcerte et le rend encore plus mal à l’aise. Après quelques minutes, rendez-vous est pris pour une réunion dans laquelle tout le plan de réduction de l’empreinte carbone sera remis à plat.
Lors de la réunion qui suit à laquelle le directeur ne participe pas, chacun a une bien meilleure maîtrise des enjeux, des mesures à prendre et des objectifs à atteindre. De ce fait, elle se déroule de façon beaucoup plus constructive, Mark R. se rend compte que le plan qu’il avait établi l’année dernière était peut-être insuffisamment préparé et débattu avec l’équipe. Il admet qu’une meilleure compréhension des enjeux passera par la formation, l’implication et l’appropriation du sujet par l’équipe elle-même mais aussi par celle du directeur qualité et du directeur administratif et financier (DAF). Le problème est de rendre la feuille de route opérationnelle et de savoir comment y arriver.
Mark R. va voir le directeur et lui soumet sa réflexion, il pourrait dans le cadre des entretiens professionnels identifier des personnes à former pour en faire des référents du sujet. M Groot a déjà émis ce souhait. Il explique qu’impliquer et former aussi le directeur qualité et le DAF pour aider à mesurer, à mettre en action les mesures et garantir les connexions avec les autres structures de l’association est indispensable.
Une telle politique ne se décrète pas, il est nécessaire de remporter l’adhésion du plus grand nombre et de modifier la culture profonde de l’association.
Mr le directeur :
– je conviens que c’est bien plus complexe et compliqué que nous l’avions imaginé. Vous nous avez montré que nous sommes en capacités de faire des choses dans ce domaine par nous-mêmes néanmoins on risque d’atteindre vite nos limites. Aussi, je pense qu’il est temps de rechercher un accompagnement externe.
Le directeur continue :
– Nous avons le soutien du CA dès l’instant où les objectifs qu’ils ont posé à ce sujet nous ont été clairement énoncés, en lien avec loi du 31 juillet 2014 ou plus récemment la loi climat et résilience. Nous avons démontré pouvoir être plus vertueux sans que cela n’affecte la qualité de nos prestations. De plus, et c’est la cerise sur le gâteau, nous dégageons des économies financières. Ces économies peuvent servir à aller plus loin dans notre action. Du reste j’ai mandaté le DAF pour mener une réflexion sur ce thème concernant le transport des usagers et le ménage qui sont des postes financiers importants. L’objectif poursuivi est à la fois de réduire notre empreinte carbone et de dégager des économies.
Le directeur, à la surprise de Mark R., clôt le débat en s’engageant :
– je garantis le maintien de la démarche et mets à l’étude l’évaluation des moyens nécessaires pour organiser un déploiement plus efficient et plus large de cette politique de réduction des émissions carbone au sein de l’association.
Mark R. s’en va satisfait. Non seulement, il a acquis le soutien actif de sa direction, mais il a aussi réussi le tour de force d’obtenir l’unanimité dans son service sur des mesures utiles à l’environnement et réduisant l’empreinte carbone. De plus, avec l’aide de tous, les indicateurs qui seront retenus seront bien acceptés par tous. Chacun aura pour mission de contribuer à l’atteinte de ces objectifs. La visibilité du tableau grâce aux indicateurs et leur évolution est primordiale pour maintenir une dynamique vertueuse, et une émulation positive. Et enfin l’expérience mené par le Pôle va être déployée sur l’ensemble de l’association.
Mark R. se dit aussi qu’il doit montrer l’importance de cette démarche en manifestant son attention soutenue au projet. Sortant son smartphone, il planifie les 3 prochaines réunions de suivi du plan de réduction de l’empreinte CO2 sur les 9 prochains mois :
– Une réunion par trimestre sur ce sujet va ancrer dans les esprits que je suis engagé à leur côté sur la réussite de nos plans. Nous pourrons vérifier la progression des indicateurs, vérifier qu’ils sont bien toujours correctement mesurés, qu’ils correspondent bien à ce que nous souhaitons faire et même, pourquoi pas, soyons ambitieux, laisser les participants s’exprimer sur la nécessité d’élargir le périmètre de nos actions, voire de mettre des objectifs plus ambitieux !
Le mémo de Mark R.
Mémo
Auteurs : Véronique LEDOS, Responsable de l’Economie Sociale et Solidaire, PELENITSE SANTE, Paris, France et Professeur Xavier BRUSSET, PhD, HDR, Directeur du Centre de Recherche PRISM, SKEMA Business School, Université Côte d’Azur, Paris, France.